Dénoncer n’est pas comprendre, encore moins apprendre 

   

La presse s’est fait l’écho du dernier rapport de la Cour des comptes sur le logiciel SIRHEN de l’éducation nationale, projet lancé en 2006, dont le coût a quadruplé, qui n’est toujours pas opérationnel, et reste sans perspective précise d’achèvement  : un air de déjà vu ?

 

Un scenario qui se répète

 

SIRHEN n’est hélas pas le premier fiasco de l’administration en matière de modernisation des ressources humaines. Les avatars des logiciels de paye Louvois pour les militaires et ONP pour les fonctionnaires civils sont dans toutes les mémoires. La dramaturgie en est maintenant bien établie : au départ des promesses d’économies de gestion liée à l’informatisation de taches exercées de façon « vétuste » par des services décentralisés (900 bases de données à reprendre dans le cas SIRHEN); ensuite des difficultés croissantes du prestataire informatique pour maitriser une complexité souvent sous-estimée mais de surcroit débridée par la centralisation du projet et le dessaisissement des acteurs locaux. Acte 3 fin de partie, au mieux avant la mise en service du logiciel comme dans le cas de l’ONP (cout d’1 milliard d’€ avant l’arrêt poubelle !), au pire bien après comme pour Louvois car les services existants de « soldeurs » avaient été prématurément démantelés. Acte 4 gros yeux de la Cour des comptes qui documente par le menu les étapes du naufrage, fournissant ainsi la matière à de faciles procès, en incompétence des uns, en goinfrerie des autres.

 

Des recommandations comparativement indigentes

 

Pourtant la lecture attentive, et en creux, des rapports de la Cour fournit d’autres motifs d’inquiétude autrement plus sérieux. Le décalage entre la précision méticuleuse, pour ne pas dire obsessionnelle, de l’instruction et l’indigence des recommandations est en effet saisissant. La conclusion de l’abondant rapport sur l’échec de l’ONP, est simplement d’enjoindre l’administration à « apprendre à mieux conduire les grands projets informatiques »! Dans le cas du SIRHEN, les injonctions sont plus précises, mais se limitent au respect de procédures formelles. Qui peut croire que « renforcer la traçabilité des décisions », ou « recentrer le programme sur ses fonctions socles » aurait infléchi la trajectoire du Titanic ?

 

 

Une impuissance à comprendre et à apprendre…

 

Du coup ces rapports prestigieux, malgré leur haute qualité formelle, expriment finalement une double impuissance collective de l’administration actuelle : à comprendre ces fiascos et le rôle du numérique d’abord, à apprendre ensuite, tant la répétition de scenarios identiques devrait alerter.

 

… liée à une vision toxique du rôle et fonctionnement de l’administration

 

Comment s’extraire de cette fatalité ? Avançons une explication générale : ces projets informatiques procèdent d’une vision profondément mécaniste et segmentée des tâches administratives, perçues comme un « lego » de directions et services dont certains pourraient être intégralement automatisées sans autre changement en amont ou en aval. Or l’administration comme l’entreprise est un organisme vivant qui secrète naturellement de la complexité qu’il faut en permanence canaliser. Des arbitres de la complexité demeurent nécessaires même si leur fonction peut évoluer.

Pour prendre l’exemple de la ligne 14 de métro, l’absence de conducteur dans les rames ne signifie pas l’absence d’un pilote de la ligne apte à faire face à tout imprévu. Justement, ce dernier dispose d’outils de repérage et de gestion du trafic qui intègrent l’expérience des conducteurs.

 

Dans le cas de SIRHEN, l’externalisation de la reprise des 900 bases de données des services a entièrement dessaisi les gestionnaires locaux antérieurs sans que la capitalisation et reprise de leur expérience de pilotage apparaisse nécessaire car l’opération ne visait qu’à leur remplacement. Imagine-t-on une ligne 14 dont le seul objectif aurait été d’économiser les salaires des conducteurs de rame?

C’est en revenant à la globalité de ses missions que l’administration pourra tirer parti des possibilités du numérique et repenser en profondeur ses modes opératoires. La participation des agents pour renseigner sur les insuffisances de départ et se définir un nouveau rôle plus efficace est, autant que la qualité du prestataire informatique, la clef d’une transformation réussie.